« Je me suis arrêtée, souvent, et j’ai regardé. J’ai écouté ce qui traversait la ville; ce qui, tout à coup, l’intensifiait. Ce qui, aussi, dans cette cage d’escalier, sur ce coin de viale, m’offrait des mélanges de sens me donnant envie de vivre. J’ai considéré ces moments de regard et d’écoute avec attention, vigilance et poésie. Il m’a semblé qu’ils me parlaient avec finesse et complexité du lieu où je me trouvais, et que la vie les sillonnait de toutes parts. »
Il y avait cet arbre, ce pin, incessamment cadré et recadré par la fenêtre; son vert de printemps romain naissant et sa majesté dans la flambée des fins de journée. Les images de Alberi renvoient à une expérience que je ne conçois ni tout à fait vidéographique, ni tout à fait cinématographique. Elles cherchent autre chose. Une alliance singulière entre les séquences et les sons, quelque chose qui naît de leur indissociabilité. Le regard, que l’on imagine facilement comme un jet, comme une ligne traçant sa puissance entre deux points, m’y apparaît comme un ancrage. Une attache au lieu par des dimensions inédites, multipliées, qui se recouvrent, s’emmêlent, se confondent.
Ici, le son – je l’espère – dilaterait le regard.
Dans le diptyque vidéo Lungotevere Aventino, avril 2022, une surface publicitaire devient le lieu d’un déploiement d’images mouvantes. J’étais fascinée par plusieurs de ces surfaces-écrans, par le vide rassurant qu’elles créaient au coeur de la ville. Je me suis mise à observer les projections qui les recouvraient, les images fluctuantes qui s’y déplaçaient. Rien ne laissait présager toutefois l’événement auquel j’ai assisté, au retour d’une promenade, événement que les jours suivants n’ont pas su répéter.
L’installation vidéographique Buio prolonge une recherche menée dans la nuit, là où l’absence de lumière permet aux correspondances entre pensée et image de se densifier. La caméra s’attarde sur des surfaces dont la lumière fragile permet la manifestation. Ailleurs, elle se fait le témoin d’un état trouble, total. J’aime aussi penser que la nuit cadre pour moi.
Durant plusieurs années, je me suis dédiée presque entièrement à la pratique sonore. J’ai été aspirée par un courant de sens, une recherche esthétique que le son me permettait de déployer. Les images qui m’intéressaient alors étaient imaginaires, créées mentalement par les visiteur.es au contact de mon travail sonore. Pendant ces années, j’ai délaissé une pratique où l’image inventée, concrète, avait aussi sa place. Par les propositions vidéographiques et sonores de l’exposition ROMA, j’explore le lieu de rencontre entre cette recherche sonore in situ, son caractère très tactile, quasi actif, et des séquences d’images captées lors d’un long séjour en Italie. Ce qui se créait de relations complexes entre le sonore et l’ancrage in situ dans mon travail précédent a été translaté dans la relation projetée des visiteur.es au lieu représenté par ces nouvelles explorations. J’ai voulu sonder cette richesse sonore, très physique, dans sa relation à un ailleurs potentiel, virtuel. Il me semble qu’il y a quelque chose d’une tension entre l’imprégnation très sensible de ces enregistrements réalistes que je fais, leur fort sentiment d’actualité, et la projection vers l’ailleurs que recherche la proposition cinématographique.
L’artiste tient à remercier Est-Nord-Est pour ses magnifiques ateliers et Avatar – centre d’artistes en art audio et électronique pour son soutien indéfectible. Elle remercie aussi chaleureusement Francesco Careri (Laboratorio Arti Civiche/C.I.R.C.O., Architecture, Università Roma 3 et Stalker – collectif) pour son accueil généreux et les nombreuses errances à travers Rome dont il a été le catalyseur. Ce travail est aussi habité par de précieuses amitiés romaines, dont celle qui me lie à Sofia Sebastianelli.
CORVIALE, suoni, 2022
Passeggiata, canne
Passeggiata, canne e vento